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European research KNOWANDPOL (Knowledge and Policies) (FR)

jeudi 28 février 2013, par Dernière mise à jour

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Introduction :

Le Programme de recherche européen intitulé « Knowledge and Policy » s’est déroulé durant cinq ans, mobilisant douze équipes de recherches coordonnées par une équipe de l’Université de Louvain animée par Bernard Delvaux et Eric Mangez.

On trouvera sur le site du Programme une présentation de l’ensemble des équipes ainsi que l’ensemble des rapports nationaux ou transversaux (http://www.knowandpol.eu/).

Ce programme analyse les relations connaissances / politiques comme des processus socio-politiques qui, sur des « scènes » plus ou moins stables, mettent en jeu des acteurs nouveaux (« action publique » et modèle « post bureaucratique »). Reposant sur les analyses des politiques de santé mentale cet aperçu s’appuie d’abord sur les travaux de l’équipe « santé France » que j’ai la chance d’animer et qui regroupe des chercheurs du Clerse (Lille), du CCOMS (Lille) et du Lest [1].


Place de l’analyse des politiques de santé mentale dans le Programme Know and Pol :

 Architecture du programme

Le Programme de recherche intitulé Knowledge and Policy s’articule autour de trois « Orientations » définies collectivement et coordonnées par une équipe de l’Université de Louvain. Deux secteurs majeurs des politiques publiques sont analysés : la santé et l ‘éducation.
Devant se dérouler sur cinq ans, l’architecture du Programme est la suivante :

  • Orientation 1 : « mapping » des acteurs (individus et « bodies ») et des connaissances. Cette première phase a été essentiellement descriptive. Elle pose cependant les bases des comparaisons ultérieures en identifiant la place des administrations centrales, des professionnels voire de certains « entrepreneurs » dans l’élaboration et la mise en place de politique vues comme des processus.
  • Orientation 2 : deux exemples d’Action Publique. Le terme d’action publique a été privilégié afin de prendre en compte une évolution supposée générale et que les travaux doivent tester. Il s’agit de montrer dans quelle mesure, s’éloignant d’une conception classique (type « politique publique ») car impliquant nombre d’acteurs et dans le cadre de l’hypothèse d’un changement de paradigme, la relation connaissances / politiques se conforme à un « un modèle post-bureaucratique ».
  • Orientation 3 : quels « instruments » sont mobilisés dans la relation Connaissances / Politiques (C/P) ? (national / international). Cette troisième orientation vise surtout à évaluer les interactions entre les différents niveaux de l’action publique (local, national, international) dans l’élaboration des interactions entre connaissances et politiques. Dans le cas de la santé, l’OMS avec ses programmes-rapports sur la santé mentale ; dans le cas de l’éducation, l’OCDE avec l’évaluation du « Programme for International Student Assessment » (PISA).

 Connaissances et Politiques dans la politique de santé mentale : une vue de l’Europe

Sur six « équipes santé », quatre ont choisi d’étudier sous des angles plus ou moins semblables la politique de santé mentale (Belgique, Norvège, Ecosse et France).

La Belgique s’est focalisée sur la manière dont l’évaluation de la politique des « projets thérapeutiques » a été analysée. Cette politique a été inspirée par le changement de paradigme (psychiatrie vers santé mentale). Le travail des belges montrent que les connaissances mobilisée, les critères et les approches évaluatives ont été différentes dans le cas de l’évaluation « administrative » et dans le cas des « dialogues citoyens ».

En Norvège, le thème a été la « restructuration » de l’offre de santé mentale dans le cadre du « Mental Health Action Plan 1998 - 2008 ». L’équipe norvégienne a montré que les différents types de savoir (de l’administration, des usagers, des professionnels, etc.) se combinaient avec les niveaux concernés (national, département et municipalités). Cette combinatoire a été organisée autour des outils du Nouveau Management Public (NMP) au profit d’un compromis qui éloigne du modèle « ouvert » initial..

En Ecosse, c’est le processus de consultation autour de l’implantation du programme national (« Towards A Mentally Flourishing Scotland ») qui a été analysé. Les écossais ont montré que par les dialogues et autres hearings, les connaissances diverses se confrontaient et se cumulaient pour finalement .. légitimer la parole des décideurs (parole soutenue, de plus, par une forte action au niveau de l’OMS).

L’équipe « Santé France » s’est intéressée à la territorialisation de la politique de santé mentale dans les années 2000. Nos partenaires européens ont particulièrement noté que, en France plus qu’ailleurs, cette dynamique était inscrite dans le long terme. De plus elle apparaît aujourd’hui en phase avec un élément majeur du NPM, celui de « l’accountability ». A travers l’analyse des péripéties et des avatars de l’évaluation en santé mentale.


Deux dimensions centrales de l’interaction C /P : l’exception française ?

Dans le but de situer le cas français, il convient de définir deux dimensions transversales des interactions C / P. Il s’agit, d’une part des relations acteurs / connaissances (àla lumière de l’hypothèse de l’émergence d’un modèle « post bureaucratique ») et, d’autre part, les débats publics (à travers l’analyse des acteurs et des connaissances impliquées).

 Acteurs / Connaissances : vers une modèle post bureaucratique ?

Sur ce premier point, le cas norvégien montre que le déploiement des outils du NMP accompagne et accélère la décentralisation en décentralisant aussi les critères de l’évaluation dans le cadre d’un « management par objectif ». De plus les « policy makers » se gardent de parler de réforme mais cherchent à présenter le changement en faisant référence à la continuité plutôt qu’à la rupture.

Comparativement, le cas français montre non pas une évolution vers un modèle « post bureaucratique » mais plutôt une modalité « néo-bureaucratique », dans le sens où les relations C / P sont largement dominées par l’Etat et l’administration centrale. Lorsqu’il y a expérimentation (e.g. introduction de connaissances différentes) c’est par rapport aux données, indicateurs, connaissances utiles à la gestion. Dans le même temps, les changements sont présentés comme en rupture par rapport aux rapports de pouvoir ou de force antérieurs (celui de l’hospitalocentrisme et de l’arbitraire professionnel).

Se pose alors la question de la production des connaissances légitimes. Trois pays, trois cas :

En France c’est d’abord l’état, déconcentré ou non, qui « produit » la connaissance légitime. L’administration détient l’essentiel des moyens et des processus d’allocation des ressources, mais la coupure avec la réalité du terrain est grande. Il en résulte que les connaissances « légitimes » sont celles qui permettent à l’administration (Ministère, bientôt les ARS) de contrôler l’output, la production (Maury, Mossé, et al., 2010). De façon significative, la même observation a été faite en France pour le secteur éducatif mais nulle part ailleurs en Europe à ce niveau.

Il n’est donc pas étonnant que, dans le même temps, se fasse jour une forme de réticence vis à vis de l’EBM (Evidence Based Medicine) qui, partout ailleurs semblent acceptée, sous diverses formes.

Il semble donc que, en matière de territorialisation de l’AP, la France soit un bon exemple de théorie de l’Agence appliquée : d’où la prolifération des Contrats. Ailleurs, le consensus (dans les discours) et la concurrence (sur le terrain) sont les horizons des interactions C / P.

En Norvège a été privilégiée une approche « éclectique » des connaissances àmobiliser pour élaborer la politique de santé mentale au centre de laquelle se trouvent désormais les 435 municipalités. La décentralisation des processus de décision s’articule donc avec une tendance à mobiliser des données hétérogènes. C’est cette hétérogénéité qui a permis aux acteurs dominants dans la situation antérieure (les psychiatres) de conserver la main sur l’organisation interne des services tout en jouant le jeu du NMP.

En Ecosse, une tendance similaire est apparue, mais l’Etat n’y crée pas directement de la connaissance ; il organise la procédure (groupes de travail, etc.) qui fera émerger, du débat, la connaissance légitime et utile à l’élaboration de la politique qu’il entend implanter. Il s’agit donc d’une « soft governance » et non d’une « governance by numbers ».

 Les débats publics : quels acteurs et quelles connaissances mobilisées ?

Les différentes actions publiques analysées par les différentes équipes ne font pas systématiquement et partout l’objet de véritables débats publics. Souvent, en matière éducative notamment, les politiques et les connaissances interagissent sur des scènes fermées.

Mais dans la plupart des pays où de tels débats existent, les acteurs sont définis et se définissent par leur place dans le processus de connaissances. Si bien que « acteurs politiques » et connaissances ne peuvent être séparés. Mais la modalité de cette liaison varie assez fortement.

Ainsi, en France est privilégié le savoir hyper spécialisé, ce qui favorise le savoir professionnel par rapport aux autres. Comme en Belgique, les médias publics sont utilisés comme supports de polémiques d’abord professionnelles, éventuellement avec les administrations de tutelle. Mais, en Belgique, les supports et les acteurs des débats se retrouvent majoritairement dans la presse professionnelle (et non dans la presse généraliste).

Il en résulte que si dans nombre de pays la « compétition » pour la légitimité peut s’apparenter à une concurrence ouverte, en France la compétition est davantage monopolistique. Si les connaissances et les débats qui s’organisent autour se ces connaissances ne sont donc pas toujours compatibles entre elles c’est que les acteurs les construisent souvent dans ce but. L’opposition, l’innovation, la rupture sont la norme. Mais du fait de cette logique monopolistique, des formes diverses voire opposées de connaissances peuvent co-exister sans que le « système » en pâtisse. .

En Belgique, en Ecosse ou en Norvège, c’est au contraire le consensus qui est d’abord recherché. En Belgique, le débat est organisé de façon formelle au sein de Commissions ad hoc (les « support committee ») où sont représentées toutes les parties prenantes. Ceci n’empêche nullement que dans ces pays aussi des acteurs dominent au moment de la décision finale. Ainsi, les chercheurs écossais insistent pour dire que si le débat était ouvert en amont, la définition de la politique de santé mentale reste dans les mains des acteurs centraux. En Norvège, ce consensus a été plus facile à trouver que, dans le même temps, les moyens et les ressources ont pu être accrus.

En Ecosse un des débats a ainsi porté sur le fait que si la parole de l’usager était relativement présente, celle de la population (« general public ») était exclue du processus de négociation. Ce débat n’a donc pas eu lieu au nom de valeurs démocratiques mais pour défendre l’idée que des connaissances pouvaient manquer.


Conclusion :

La question de la place des acteurs locaux dans les débats est ici d’autant plus cruciale qu’il s’agit d’une politique qui vise (explicitement) à les promouvoir.

En Ecosse comme en Norvège, la confiance faite aux acteurs locaux est une caractéristique de toute les actions publiques. En Norvège, cette stratégie est connue sous le nom de « municipal welfare state ». En Ecosse, la place des acteurs locaux et les débats qu’elle suscite ne peuvent se comprendre si on ne tient pas compte de la dynamique introduite par la devolution et au désir d’émancipation vis à vis de la tutelle anglaise ; en Norvège la coexistence d’une vraie territorialisation avec une forme institutionnelle de prise en charge de la santé mentale, est permise par la stratégie du « gagnant-gagnant » elle même permise par la richesse de la nation.

Rien de cela en France. Pour se faire entendre, les acteurs locaux doivent donc à la fois investir le débat public et agir en lobbyiste vis à vis du pouvoir central.


Bibliographie indicative :

  • Iván Bajomi, Eszter Berényi, Gábor Erôss,Bori Fernezelyi, Julia Koltai, Sara Levendel, Eszter Neumann and Julia Vida, “Knowledge and Policy:an inseparable couple”, August 2010, 99 p.
  • Lise Demailly, Hélène Chéronnet, Philippe Mossé, « The role of knowledge in the construction of public action : the territorialization of mental health policy”, Sept. 2009, 147p.
  • Helge Ramsdal “Knowledge and Mental Health Policy - Reforming the Structure of Mental Health Services in Norway”, Sept. 2009, 157 p.
  • Vrancken Didier, Schoenaers Frédéric, Mélotte Audrey “Reconfigurations of the Belgian health sector. An experimentation : the therapeutic projects”, Sept. 2009, 111 p.
  • Jennifer Smith-Merry, Richard Freeman, Steven Sturdy “Towards A Mentally Flourishing Scotland : Consultation process as public action”, Sept. 2009, 89 p.
  • Istvan Kosa, Caroline Maury, Audrey Mélotte, Philippe Mossé, Jenny Ozga, Frédéric Schoenaers “Knowledge and Policy in Education and Health. Challenging State legitimacy in 8 European countries : facts and artefacts”, June 2008, 40p.
  • Lise Demailly, Julie Devineau, Caroline Maury and Philippe Mossé “Accountability and Mental Health in France ; the impossible and irresistible evaluation”, September 2010, 93 p.
  • Philippe Mossé, septembre 2011, Le temps des territoires de l’action publique : l’exemple de la santé mentale, Pouvoirs Locaux, N°90, pp.95-100.

[1D’autres chercheurs du Lest (Eric Verdier, Hélène Buisson-Fenet) sont engagés dans le volet « éducation » du Programme.